- PHOTO-INTERPRÉTATION
- PHOTO-INTERPRÉTATIONLe terme «photo-interprétation», qui présente l’avantage d’être identique en français, en anglais, et de s’être imposé en espagnol (à l’orthographe près), désigne l’interprétation des photographies aériennes et des images spatiales. Mais la photo-interprétation naquit en fait dans la seconde moitié du XIXe siècle, en même temps que la photographie. Son essor fut favorisé par les utilisations militaires qu’on lui assigna très tôt, encore que les scientifiques aient mis à profit cette nouvelle méthode d’investigation dès les premières années du XXe siècle.À la base de tout processus de photo-interprétation, on trouve la lecture des images du paysage étudié, prises avec une émulsion ou un détecteur connus [cf. PHOTOGRAPHIE], dans une direction le plus souvent verticale, généralement par bandes juxtaposées couvrant des surfaces importantes (cf. PHOTOGRAPHIE AÉRIENNE ET SPATIALE, TÉLÉDÉTECTION).Une lecture simple à partir de clefs permet des applications dans tous les thèmes où un inventaire requiert une forme cartographique (géologie, agriculture, occupation des sols, par exemple). En effet, le passage de la photographie verticale à la carte est intuitif. Mais si l’on veut interpréter l’image afin d’expliquer les formes lues en termes de phénomènes dans le champ des objets, il faut affiner les méthodes et les rendre très rigoureuses. On peut alors étudier des chronologies (archéologie, géologie, notamment), rechercher la dynamique des états successifs de certaines formes (océanographie, météorologie en particulier) ou des relations explicatives entre tel ou tel sous-ensemble d’objets de l’espace étudié (écologie, urbanisme, végétation, par exemple).Depuis les années cinquante, il n’est pas d’étude importante d’inventaire ou d’aménagement qui ne fasse appel à la photo-interprétation.Invention et diffusionC’est en 1858 que Gaston Félix Tournachon, dit Nadar, qui avait pris la première photographie aérienne en ballon (1855), déposait un brevet d’invention «pour un nouveau système de photographie aérostatique» permettant le «levé des plans topographiques, hydrographiques et cadastraux», ainsi que la direction des «opérations stratégiques par le levé des fortifications». La photo-interprétation était inventée; mais, pacifiste, Nadar refusa sa collaboration au ministère de la Guerre.Les champs d’opération des deux guerres mondiales furent les «pépinières» où se formèrent des centaines de «photo-interprètes» (ou «photo-interprétateurs»), qui répandirent la méthode dans tous les milieux techniques et scientifiques. Cependant, ce sont les archéologues qui, les premiers, en 1906, avaient utilisé l’interprétation des photographies aériennes, suivis par les géomorphologues et les géologues. Les premiers manuels de photo-interprétation furent ceux du Canadien E. Pépin (1916) et du Français L. P. Clerc (1920). À la même époque, les travaux de photo-interprétation industrielle sur une grande échelle étaient réalisés pour la prospection pétrolière (1920-1925). En 1938, sous l’égide d’Emmanuel de Martonne, le Ier Congrès de géographie aérienne se tenait à Paris, mais la guerre retarda la publication de ses conclusions: La Géographie aérienne d’Emmanuel de Martonne ne parut qu’en 1948.Cet après-guerre est celui du grand développement de la photo-interprétation spécialisée. Jean Baradez en France, John Bradford en Grande-Bretagne, Giulio Schmiedt en Italie perfectionnent la «photo-archéologie» mise en œuvre par le père Poidebard et par O. G. S. Crawford avant 1934; les photogéologues de l’Institut français du pétrole entreprennent la prospection du Sahara et J. Gandillot crée le premier cours universitaire de «photogéologie» à la Sorbonne; F. Gaussen et P. Rey donnent à la photo-interprétation un rôle prépondérant dans la cartographie de la végétation.Les années cinquante voient se développer dans le monde entier des applications dans tous les domaines, et la formation des spécialistes est remarquablement entreprise à l’échelle mondiale par l’I.T.C. (International Training Center for Aerial Survey) de Delft, aux Pays-Bas; c’est aussi la période où la photo-interprétation tend à se dégager de ses disciplines d’application pour essayer de définir une méthode générale de travail; Robert N. Colwell est, aux États-Unis, le précurseur de cette tendance, mais c’est en Europe qu’elle trouvera son plein développement, sur une base très théorique en U.R.S.S. (M. K. Bokharov, L. A. Bogomolov), plus géographique en France (A. Clos Arceduc, R. Chevalier et M. Guy).À partir de 1964, l’influence de l’école française modifiera profondément l’évolution des travaux de la Société internationale de photogrammétrie dans le sens de la critique et de l’unification des méthodes.Dès 1960, l’Américain A. Rosenfeld avait posé le problème de l’automatisation, qui s’est développé depuis lors par suite de la généralisation des images numériques [cf. TÉLÉDÉTECTION]. Les capteurs des satellites N.O.A.A.-Nimbus puis Landsat-1 (1972), comportant plusieurs bandes spectrales ayant une faible résolution de l’image (de 1 000 m à 80 m), ont entraîné les interprètes vers l’analyse de la «couleur» des objets au détriment de l’analyse des formes. Depuis 1983-1984, les images possédant une résolution de 30 m (série des Landsat Thematic Mapper et caméra métrique du Spacelab) puis les images panchromatiques à 10 m des S.P.O.T. (1986, 1990, 1993) ont replacé la photo-interprétation dans sa tradition. La diffusion très large de la micro-informatique et la production de disquettes et de CD-ROM d’images numériques accélèrent le développement des aides automatiques à la photo-interprétation.Les méthodes de photo-interprétationL’examen des photographies aériennes verticales doit toujours avoir lieu dans les zones de recouvrement de couples stéréoscopiques, car leur avantage principal est de donner une vue en relief du paysage; l’impression de relief peut être exagérée ou atténuée à souhait au moment de la prise de vue ou par un agrandissement ultérieur; ce qui permet d’adapter les conditions d’observation au phénomène étudié.On utilise pour l’observation soit un stéréoscope de poche pliant, soit, lorsqu’on veut dessiner commodément, un stéréoscope à miroirs. Les appareils de ce dernier type possèdent aussi en général un dispositif de mesure des parallaxes, qui permet de calculer des différences d’altitude [cf. PHOTOGRAMMÉTRIE]. Pour mettre en place le couple sous le stéréoscope, on aligne quatre points: les centres de chaque photographie du couple et leurs images mutuelles sur l’autre photographie (fig. 1), en les espaçant de la distance caractéristique de l’appareil, et l’on place le stéréoscope parallèlement à cette ligne. L’interprétation se fait presque toujours en dessinant les observations sur la photographie (au crayon gras) ou, de préférence, soit sur un transparent, avec un feutre spécial ou à l’encre de Chine, soit sur un support dépoli translucide au crayon de couleur.L’examen des photographies aériennes obliques, prises généralement à basse altitude (à très grande échelle) pour l’observation d’un phénomène très localisé (archéologie, art militaire, stratigraphie géologique, foresterie, par exemple), a lieu par comparaison avec les photographies verticales du même lieu, qui servent ainsi de carte pour le report. Il existe des méthodes fort simples de transfert d’un détail de la photographie oblique sur la verticale, puis sur la carte (méthode des quadrilatères complets). Depuis 1983, des programmes sur micro-ordinateur permettent de redresser l’image ou le schéma d’interprétation (I. Scollar).Le photo-interprète n’obtiendra de bons résultats que si le document qu’il utilise traduit les dimensions des objets au sol à une échelle favorable. Or, entre les besoins de l’urbanisme (objets de 5 à 100 m) et ceux du géologue (objet de 0,1 à 10 km), il y a une incompatibilité qui oblige l’interprète à choisir des photographies prises à des échelles comprises entre 1: 500 (archéologie) et 1: 50 000 (géologie).En fait, suivant l’intérêt de son projet et les moyens financiers dont il dispose, l’interprète pourra choisir l’échelle et la date de prise de vue des photographies, ou se contenter d’utiliser celles qui sont fournies par les organismes cartographiques (Institut géographique national en France, Institut géographique militaire en Belgique ou en Italie, entre autres). Heureusement, ces organismes qui ont pour mission de réaliser les cartes topographiques de base, c’est-à-dire destinées à une interprétation qui concerne un peu tous les sujets, utilisent des échelles standards qui conviennent dans beaucoup de cas et sont toujours suffisantes pour dégrossir un problème et préparer un vol photographique spécialisé. Dans les pays à forte densité de peuplement, on utilise des échelles comprises entre 1: 10 000 et 1: 30 000, ailleurs 1: 50 000 à 1: 70 000. Le tableau résume les choix les plus adaptés aux divers types de problèmes. Les images des satellites d’observation de la Terre, de plus en plus assimilables à des photos aériennes à petite échelle (1: 100 000 pour les Landsat Thematic Mapper ou les S.P.O.T.), sont prises à des dates répétées à travers les saisons et permettent des études diachroniques [cf. TÉLÉDÉTECTION].Lorsque les utilisateurs de photographies aériennes les analysent pour en extraire les renseignements dont ils ont besoin, chacun d’entre eux interprète les composants de l’image d’après son but et ses connaissances antérieures, un peu comme l’on interprète un texte: on reconnaît les formes habituelles dont le sens est clair et la compréhension immédiate; parfois, une phrase compliquée nécessite une analyse plus ou moins poussée. Il en est de même en photo-interprétation. Une photographie peut être lue, comme un texte, par la méthode globale: on reconnaît sur la photographie de la figure 2 des maisons, une forêt, des champs; on peut «lire des phrases» qui expriment des relations plus ou moins complexes entre les «mots» (les objets); celle-ci, par exemple: «Les routes issues du village sont rectilignes et forment une étoile à cinq branches.»Cependant, si l’on veut étudier plus complètement cette photographie, la méthode globale ne suffit plus en général. On va donc opérer exactement comme pour lire un texte, c’est-à-dire analyser les constituants élémentaires des images (équivalents des lettres qui composent un texte); on les appelle d’ailleurs des «caractères» dont les sous-ensembles constituent les «textures» présentes dans l’image. On étudie ensuite l’organisation de ces éléments dans l’espace, ou leurs ressemblances, ou d’autres propriétés collectives: ce sont les «structures» de cette image. Un certain sous-ensemble de caractères muni d’une structure est une «forme». Dans le cas de la photographie de la figure 2, on peut identifier, parmi d’autres, les textures suivantes:a ) de petits rectangles (ou plutôt parallélépipèdes) de couleur claire, de dimensions comprises entre 5 et 10 m pour 3 à 5 m de hauteur;b ) des quadrilatères, souvent rectangles, de teinte uniforme ou un peu marbrée allant du blanc au gris moyen;c ) des lignes blanches d’épaisseur constante (10 à 12 m), etc.Évidemment, on reconnaît dans (a ) les maisons, dans (c ) les routes, tout comme on sait dire, par exemple, de deux barres verticales réunies en leur milieu par un trait horizontal: «c’est un H», mais on n’est pas obligé de connaître ces objets ni leurs noms pour continuer le raisonnement.Lisons maintenant des «syllabes» ou des «mots», c’est-à-dire analysons des structures qui ordonnent les textures découvertes; par exemple (a -a ): les petits rectangles (a ) sont agglomérés par groupe de cinq à dix; (a -c ): les petits rectangles (a ) sont concentrés au voisinage des lignes (c ), etc. Ces assemblages de textures sont des «formes», en photographie aérienne comme en linguistique. Et, de même, on peut trouver des formes de plus en plus complexes en considérant chaque forme définie comme un élément textural, auquel peut s’appliquer une structure, et ainsi de suite.En conservant le même exemple, on découvre sur l’image une nouvelle forme, (a -a )-(c -c ): les agglomérations de petits rectangles (a ) sont concentrées au voisinage de l’intersection des lignes (c ).Un honnête homme dirait: «Le village est proche du croisement des routes», mais ce cas évident montre qu’on peut retrouver des lois géographiques qui nous sont familières sans rien savoir des objets.Le photo-interprète utilise donc, à chaque moment de son travail, soit la méthode globale, soit la méthode analytique, suivant la connaissance qu’il a de l’application sur laquelle il travaille. À la limite, la photo-interprétation peut être utilisée comme un moyen de découverte autonome, permettant d’analyser le paysage sans idée préconçue, et sans but précis autre que de compléter connaissances.Toute anomalie décelée entraîne l’analyse de sa structure, ainsi que des conditions qui l’entourent, ce qui permet de définir un modèle du phénomène. La vérification peut être externe (visite au sol) ou interne: le modèle et les conditions étant définis, on recherche un autre lieu qui les présente et l’on doit retrouver l’anomalie sur les photographies de ce lieu. A. Clos Arceduc a illustré cette méthode en étudiant des structures périodiques dans des domaines variés. La formalisation de ces règles entreprise dans des corps théoriques tels que la morphologie mathématique (J. Serra), l’analyse des espaces fractionnaires ou «fractals» (B. Mandelbrot), la théorie des formes (M. Pavel, K. Borsuk) a peu à peu permis d’informatiser la plupart des processus d’interprétation.Les applications actuelles et futuresLes applications peuvent être classées en deux catégories principales: celle des processus d’inventaire et celle des processus d’explication.La première groupe toutes les identifications de formes d’objets connus, les délimitations et les dénombrements, bref, ce qui conduit à une cartographie, entendue au sens large. Dans cette catégorie se rangent les prospections (archéologie, reconnaissance militaire, foresterie, par exemple), les cartographies proprement dites (géomorphologie, géologie, végétation, notamment), les inventaires par points ou par zonages (par exemple, foresterie, urbanisme, circulation routière). Ce sont des applications industrielles faites par des spécialistes du thème employant la méthode globale, sauf pour les cas litigieux (fig. 3).La seconde catégorie d’applications utilise la méthode analytique, quoique l’expérience professionnelle du spécialiste du thème lui fasse parfois deviner intuitivement l’explication d’une forme. Les thèmes traités sont souvent ceux dont l’aspect dynamique est prépondérant: hydrographie, chronologie des états d’un paysage (fig. 2), écologie, entre autres.Cependant, les applications évoluent sans cesse, soit qu’elles concernent de nouveaux thèmes rendus accessibles par des progrès techniques (phytopathologie par fausse couleur, par exemple), soit que l’étendue des travaux de routine entraîne la recherche d’une productivité accrue: la méthode analytique permet alors soit d’accélérer le travail du spécialiste soit surtout de créer des algorithmes d’analyse grâce auxquels un non-spécialiste peut obtenir des résultats «en routine» comparables à ceux qu’obtenait le spécialiste.Ainsi, la méthodologie de la photo-interprétation évolue vers un automatisme de plus en plus poussé des tâches d’inventaire, et l’invasion de thèmes de plus en plus fins par la photo-interprétation d’explication (fig. 4). Les données obtenues par les méthodes de télédétection qui complètent la photographie aérienne classique, ayant un support informatique, plus adapté au traitement automatique, ont favorisé cette tendance.• av. 1966; de photo et interprétation♦ Techn. Analyse des photographies aériennes servant à établir les éléments de base d'une carte.photo-interprétationn. f. TECH Analyse de photographies aériennes en vue d'établir des cartes (topographiques, pédologiques, etc.). Des photo-interprétations.photo-interprétation [fɔtoɛ̃tɛʀpʀetɑsjɔ̃] n. f.ÉTYM. Av. 1966; de photo-, et interprétation.❖♦ Techn. Analyse des photographies aériennes servant à établir les éléments de base d'une carte. || La cartographie actuelle utilise les données fournies par la photo-interprétation.
Encyclopédie Universelle. 2012.